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Complémentaire santé : la formule magique de l’étatisation, ou quand l’idéologie l’emporte sur le bon sens

By 13 octobre 2021Publication

article olivier

C’est peu dire que le projet d’avis du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (Hcaam) sur une possible nouvelle articulation entre les régimes d’assurance maladie obligatoire et complémentaire intrigue le secteur. Mais comme le souligne dans cette tribune Olivier Milcamps, senior manager de la business unit « Institutions financières et Santé » au sein du cabinet de conseil en stratégie PMP, l’idée n’est pas tout à fait nouvelle… et ses limites ne le sont guère plus.

Dans son projet d’avis, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) retient 4 scénarii ou plutôt 4 déclinaisons d’un même scénario, celui d’une étatisation complète du financement des dépenses de santé, et dans tous les cas une suppression de tout risque pour le régime complémentaire.

À sa lecture, la première question est celle de savoir pourquoi le projet de grande Sécu a pu retenir autant l’attention du Hcaam, qui plus est avec un gouvernement d’obédience plutôt libérale (réforme de la SNCF , …) ?

Cette idée n’est pas nouvelle. Le rapport Chadelat en 2004, très influencé par les réformes adoptées en Allemagne dans les années 90 (notamment le fameux bouclier sanitaire), proposait déjà une partie de ces pistes. Cette idée repose sur un postulat largement partagé au sein de la haute fonction publique selon lequel le « tout public » est forcément mieux.

Cette grande Sécu est aujourd’hui une quasi-réalité : la gouvernance paritaire de la sécurité sociale s’est arrêtée en 1996 (fin de l’élection des représentants des salariés et des employeurs et instauration des lois de financement de la sécurité sociale) et l’État en a largement pris le contrôle. Sans compter que le poids de la sécurité sociale dans le financement des dépenses de santé, après avoir diminué entre 2004 et 2011, augmente continûment depuis 2012 pour atteindre 77,9% en 2019 et 79,8% en 2020 (année du Covid).

C’est, d’ailleurs, sans compter sur le fait que la grande majorité des organismes complémentaires ont préféré se concentrer sur les petits risques voire sur le crédit consommation (poste optique), quand ils disposaient encore de la liberté de développer des offres pertinentes pour répondre aux besoins de leurs assurés confrontés à des maladies graves, causes des restes à charge les plus élevés… pour in fine perdre toute leur liberté avec le contrat responsable et finir collecteurs de taxes.

Ce qui frappe le plus après la lecture de ce projet est la réflexion très autocentrée sur le modèle de financement des dépenses de santé. Bien sûr la cohabitation des deux régimes, obligatoire et complémentaire, apporte peu de valeur et génère des coûts de gestion de facto trop importants. Mais est-ce en supprimant le plus petit des deux que le plus gros sera plus performant ?

Car la prise en compte des enjeux du système de santé dans sa globalité que le document effleure à peine, donne une tout autre perspective, s’agissant d’enjeux qui pèsent bien plus que les 7,9 milliards d’euros de coûts de gestion des organismes complémentaires que le HCAAM propose de supprimer en grande partie.

Ces enjeux sont archi connus, y compris du Hcaam bien entendu. Nous en retiendrons 3 en priorité absolue.

La mise en place d’une politique nationale de prévention primaire et secondaire visant notamment à maîtriser voire réduire le poids des maladies chroniques et lutter contre la mortalité évitable, une des plus élevée en France parmi les pays européens ;

La lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé, qui s’accroissent continument. Une étude du réseau Francim vient de confirmer l’existence d’un « gradient social de survie unidirectionnel pour la quasi-totalité des cancers en France, avec une moins bonne survie chez les patients vivant dans les zones les plus défavorisées »

(Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 7 avril 2021)

Le rattrapage en santé mentale. La santé mentale constitue le premier poste de dépenses de l’assurance maladie par pathologie (22,7 milliards d’euros en 2019 soit 14% des dépenses, loin devant les cancers) et concerne plus de 8,1 millions de personnes. Mais, alors que le nombre de psychiatres en France est l’un des plus élevés de l’Union Européenne, seules 40 à 60% des personnes souffrant de troubles psychiques sont prises en charge ; mais si les médecins généralistes prescrivent 90% des antidépresseurs et des anxiolytiques, la France est le pays d’Europe où l’adressage vers le psychiatre par le médecin généraliste est le plus faible…

Dès lors, comment un encadrement encore plus resserré du régime complémentaire voire sa disparition permettrait au régime obligatoire de mieux adresser ces enjeux, ce qu’il peine tant à faire seul depuis des décennies ? En tant que financeur il est pourtant très impliqué dans la définition de la liste des produits et prestations remboursables, dans la fixation des tarifs de base de remboursement… autant de leviers extrêmement structurant pour adresser ces enjeux.

Pourquoi la grande Sécu, sous l’étroit contrôle de l’État, fera mieux qu’aujourd’hui pour accélérer la diffusion de la télémédecine, prendre en charge des digital therapeutics et autres solutions numériques, accélérer le transfert des tâches entre professionnels de santé, soutenir la restructuration des hôpitaux publics, investir massivement l’école et l’entreprise, accompagner l’indispensable régionalisation de l’organisation du pilotage du système de santé… bref accompagner enfin l’adaptation de notre système de santé à la transition épidémiologique ?

En travaillant sur des scénarii visant à verticaliser encore plus notre système de santé, le HCAAM s’est engagé dans une impasse. Il est au contraire urgent d’imaginer d’autres pistes pour réformer les 2 régimes obligatoire et complémentaire. Les enjeux sont bien trop importants. Que le Hcaam se penche aussi sur les réalités de l’impuissance de l’assurance maladie. Et qu’il élabore des propositions à partir de la réalité des formidables défis du système de santé qui sont devant nous.

Olivier Milcamps, Senior Manager PMP

Consultez l’article Publié le 13 octobre dans L’Argus de l’Assurance

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