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Les entreprises portent un intérêt croissant pour les métavers, des modèles ambitieux mais encore en construction. Où en sont réellement les métavers dans leur développement, leur utilisation ? A quels enjeux font-ils face dans un avenir proche et quelles sont leurs perspectives de développement ?

Le début des année 2000 avait vu l’émergence d’une première génération de métavers (Second Life, Entropia), sous la forme de jeux en lignes communautaires en 2D. Après un pic d’utilisation vers 2006 (Second Life comptabilisait alors 2 millions de membres et accueillait des marques comme American Apparel et Wells Fargo), leur utilisation a décliné. Au milieu des années 2010, une 2ème génération de métavers apparaît et se développe avec l’émergence du Web3.0 (environnement décentralisé et communautaire dans lequel les utilisateurs sont acteurs actifs). Ces métavers sont des espaces visitables en 3D, leur expérience peut être enrichie par les équipements de réalité virtuelle. A la rencontre du gaming et des réseaux sociaux, ces nouveaux espaces voient arriver certaines entreprises historiques qui, challengées par l’arrivée d’acteurs digitaux natives dans les années 2000 à l’ère du web 2.0, ambitionnent de se repositionner dans le digital sur le web 3.0.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Et quels sont les modèles de métavers en place ?

Aujourd’hui, seuls quelques métavers comptent plus de 50,000 utilisateurs mensuels actifs : Roblox (203 millions), Second Life (65 millions), Axe Infinity (2 millions), The Sandbox (200,000), Horizon Worlds (200,000) ou Decentraland (60,000).

Ces métavers reposent sur différentes propositions de valeur pour les utilisateurs : les plus anciens, tels que Second Life (2003) ou Roblox (2004) axent leurs modèles sur le jeu en ligne, d’autres comme Decentraland ou the Sandbox, se présentent comme des plateformes de création et d’échanges de biens virtuels et d’arts. Enfin, Horizon Worlds, développé par Meta, axe sa valeur sur l’échange social, dans la continuité du réseau social Facebook du même groupe.

Ces métavers se différencient également par leurs modèles de gouvernance. Certains, comme Horizon Worlds ou Second Life, sont basés sur un modèle centralisé, régi par un organe central en charge des décisions d’évolution de la plateforme. A l’inverse, Décentraland ou The Sandbox ont fait le choix d’un modèle décentralisé : sur Décentraland par exemple, les détenteurs de jetons de métavers (parcelles, crypto-monnaie,…), peuvent participer aux décisions d’évolutions, par un système de DAO (organisation autonome décentralisée)

Outre leur gouvernance, les métavers se distinguent aussi par la répartition de valeur qu’ils génèrent. Celle de The Sandbox s’appuie sur la Creator Economy : son modèle, où 95% de la valeur générée dans le jeu est redistribuée aux créateurs, leur offre une meilleure rémunération que les réseaux sociaux actuels et incite ainsi à la création et à l’enrichissement de l’expérience client. Aujourd’hui, 99% du contenu sur ce métavers est généré par les utilisateurs et ce modèle collaboratif permet également de maximiser les échanges dans le temps, car la valeur est captée à chaque achat/(re)vente. Décentraland a de la même manière un modèle où 100% de la valeur est captée par le créateur, tandis que la plateforme se rémunère via la vente de MANA, la monnaie locale. Au contraire, le métavers Horizon Worlds prélève une commission de 47,5% sur les ventes des créateurs, de même que Roblox qui capte entre 30% et 70% de la valeur créée.

Quelle expérience réellement acquise jusqu’ici ?

Si la notoriété de Roblox attire plus de 200 millions d’utilisateurs mensuels actifs avec son offre de 40 millions de mini-jeux, on observe jusqu’à présent un nombre restreint d’utilisateurs sur The Sandbox ou Décentraland (environ 1,000 à 3,000 fois moins que sur Roblox) qui proposent des univers virtuels dans lesquels faire évoluer et interagir son avatar.

Pourtant, on constate que ces modèles attirent déjà de nombreuses entreprises qui investissent et développent des projets sur les métavers (achats de parcelles, partenariats avec les gestionnaires) : elles sont par exemple 400 sur The Sandbox. Sur Decentraland, Gucci a développé son Vault, un lieu virtuel dans lequel il expose le patrimoine de la marque dans un expérience gamifiée, tandis que Nike a récemment racheté le studio RFKFT, qui produit des baskets NFT. Ces marques mettent en avant une volonté de mieux comprendre le fonctionnement de ces nouvelles plateformes et de toucher de nouvelles cibles clients.

Pour les métavers, ces expérimentations sont génératrices de trafic sur leur plateforme et de l’exposition, et permettent aussi de tester les modèles de relation partenariales. The Sandbox accompagne les grandes marques qui veulent s’établir sur son métavers pour créer avec elle des projets sur 6 mois à 1 an : une relation de confiance clé pour les entreprises dans un univers incertain et complexe à appréhender.

Quelles questions en suspens pour ces environnements ?

A ce stade de leur développement, les métavers font face à plusieurs questions, dont l’une des principales est la régulation. Dans les univers décentralisés, la gouvernance peut être mise en risque dans le cas d’un partage de la valeur entre quelques acteurs prédominants (oligopole). Selon Sébastien Borget, co-fondateur the Sanbdox, un modèle de revenus valorisant les échanges à grande échelle permet d’empêcher cette dérive. En effet, on compte 23 000 détenteurs de SAND, la crypto-monnaie de The Sandbox.

Le second enjeu, qui s’est posé dans les mêmes termes à la création d’internet, est d’établir une régulation qui permette à la plateforme de rester un espace neutre et favorable aux interactions, tout en protégeant les droits des utilisateurs et la légalité des transactions. Cette régulation est complexe à mettre en place du fait des liens forts entre monde réel et monde virtuel d’une part, et de la multiplicité des mondes virtuels développés d’autre part. Quelques organisations abordent déjà ce sujet (FranceMeta, Metacircle) sans réponse uniforme à date.

D’autre part, ces différents univers restent aujourd’hui cloisonnés. Ce cloisonnement réduit le trafic sur ces plateformes, l’expérience utilisateur et les liens au monde réel : l’utilisateur ne peut évoluer dans plusieurs espaces sous la même identité. Aujourd’hui, certaines start-ups comme Ready Player Me se spécialisent dans la création d’avatars 3D uniques qui pourraient être utilisés d’une plateforme à l’autre, comme « des passeports de métavers ». L’identité unique permettrait de simplifier les interactions entre monde réel et monde virtuel, par exemple les échanges de services clients, avec une reconnaissance directe du compte associé.

Enfin, la question du niveau de fréquentation se pose aujourd’hui au secteur des métavers : les utilisateurs restent peu nombreux à s’approprier ce nouvel environnement, ce qui rend encore incertaine la pérennité économique de ces plateformes. La démocratisation des métavers passe en partie par celle des outils : les contraintes techniques et d’utilisation des casques de réalité virtuelle sont un frein à une expérience 3D complète et l’accès aux NFT, qui s’achètent via des crypto-monnaies volatiles, freine également les moins technophiles. Les facteurs et conditions d’une accélération du trafic de visiteurs, et de l’atteinte d’une taille critique au niveau mondial, restent encore à déterminer.

Quelles perspectives de développement ?

D’une part, les métavers, au croisement entre le gaming et les réseaux sociaux, sont une opportunité pour les entreprises de toucher des populations jeunes, aujourd’hui les gamers, qui utilisent ces supports.

D’autre part, le métavers offre des opportunités de développer de nouvelles expériences clients immersives, enrichies, pour un rapport avec les marques plus engageant. Si la killer application en termes d’expérience client reste encore à déterminer, on sait déjà qu’il s’agit de créer une autre expérience qu’une simple transposition du réel dans le virtuel.

Enfin, les métavers sont un des espaces propices aux transactions de NFT et pourraient bénéficier du développement de ces dernières, notamment dans des secteurs où les deux notions semblent se rencontrer (luxe, mode, art…).

Conclusion

Les métavers, encore avec une fréquentation très limitée et à un stade amont de leur développement, présentent un potentiel notamment dans des perspectives de nouvelles générations d’e-commerce immersif, à envisager cependant dans un temps long au vu des défis de croissance de fréquentation et d’enrichissement de l’expérience client encore à relever. Sans pouvoir prédire comment et jusqu’où les métavers se développeront, l’expérience du Web 1.0 et du Web 2.0 a montré que les acteurs ayant su se positionner tôt avec une démarche de test&learn soutenue dans le temps ont pu prendre un leadership et une avance ensuite difficile à rattraper.

Ingrid Dutel, Consultante Digital, Data & Expérience Client chez PMP Strategy

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