La prochaine décennie assistera à la massification de la mobilité électrique. Nos infrastructures routières seront transformées par les nouveaux besoins de ces véhicules qui redéfiniront notre expérience de ce mode de déplacement.
L’ENVOL DU VÉHICULE ELECTRIQUE ET SES CONSÉQUENCES
La promesse d’une mobilité routière durable, offrant la même qualité de service que celle recourant au moteur thermique, stimule l’innovation automobile depuis bientôt un demi-siècle. L’arrivée des premiers véhicules hybrides (Toyota Prius, 2009) et électriques (Nissan Leaf, 2010) pour le grand public a contribué à concrétiser cet horizon. La transition ne fait que commencer.
Les ventes de véhicules électriques progressent tous les ans en Europe, même si les volumes restent faibles. L’année 2016 a vu 21 000 voitures électriques être immatriculées en France, soit une progression de 27% par rapport à l’année précédente selon les chiffres de l’AVERE. L’autonomie des batteries représente le principal frein à l’adoption d’un véhicule électrique, si l’on exclut le prix qui est – en partie – compensé par des dispositifs de subvention publique.
Les annonces récentes réalisées à ce sujet par Renault (400km d’autonomie pour la nouvelle ZOE, chiffre constructeur) et Tesla (632km d’autonomie pour le nouveau modèle haut de de gamme, chiffre constructeur) représentent un signal encourageant, qui devrait supporter le déploiement des automobiles électriques.
S’il faudra encore attendre de nombreuses années avant que la majorité du parc français fonctionne à l’énergie électrique, la France de la mobilité électrique se construit aujourd’hui et ses enjeux pèsent sur les acteurs de l’écosystème automobile depuis longtemps. La mise à niveau des infrastructures routières et le déploiement d’une infrastructure de recharge sont au premier plan.
LE DÉPLOIEMENT D’UNE VASTE INFRASTRUCTURE DE RECHARGE
La création d’un secteur et un déploiement de long terme
Les ambitions françaises sont importantes, la Loi de Transition Énergétique de 2015 (LTE) fixe un objectif de 7 millions de bornes de recharge en France à horizon 2030. La France comptait alors seulement 13 000 bornes de recharge.
Ce chiffre est également important en regard des 11 269 stations-services opérationnelles en France en 2015. Ces dernières permettent de réaliser un plein et de le payer en quelques minutes, tandis qu’une recharge électrique dure, selon le mode de recharge, entre 20 minutes et 12 heures. Ainsi, ce n’est pas seulement l’énergie mais bien les usages et la temporalité des déplacements routiers qui sont transformés.
Les réseaux de recharge répondent principalement à deux types de besoins, d’une part, la recharge en mobilité, qui s’inscrit dans une chaîne de déplacement et sur laquelle pèse une importante contrainte de temps, les corridors de bornes de recharge rapide le long des axes routiers sont développés à cet effet (Corri-Door, Sodetrel), d’autre part, la recharge de stationnement, qui s’inscrit dans le cadre d’une activité n’impliquant pas un départ rapide.
L’offre de recharge électrique apparaît aujourd’hui encore trop fragmentée, malgré les initiatives en matière d’interopérabilité (GIREVE) et de référencement de l’offre de bornes de recharge (ChargeMap). Plusieurs grands-petits réseaux cohabitent sur le territoire français, on trouve à leurs têtes : Bolloré, EDF, Vinci, ENGIE, la CNR, Tesla ou encore les syndicats énergétiques locaux déployant leurs réseaux de bornes.
Pour pallier ce morcellement, des initiatives se développent comme le pass KiWhi, carte de paiement compatible avec plusieurs réseaux de bornes proposée par Easytrip, une filiale du groupe EGIS .
Le maillage du territoire en bornes de recharge, l’adaptation de l’offre de stationnement existante et la fourniture de services à la recharge offrent encore des opportunités importantes. Des entreprises de nombreux secteurs (mobilité, immobilier, énergie) ont des expertises ou des avantages compétitifs pouvant être exploités sur ce marché dans le domaine de la recharge et des services à la mobilité électrique.
LA RÉINVENTION DE L’INFRASTRUCTURE ROUTIÈRE
L’utilisation d’un véhicule électrique conduit également à repenser le fonctionnement et les missions attribués à la route. Si elle constituait, jusqu’ici, le support du véhicule thermique, plusieurs projets de recherche et développement lui affectent de nouvelles fonctions, notamment la production et la transmission d’énergie.
La route comme centrale électrique
L’utilisation de la route comme outil de production d’électricité présente plusieurs avantages. L’énergie est produite au plus près de là où elle est consommée. Sa production ne demande pas de mobiliser des ressources foncières annexes, de plus en plus précieuses, notamment en zones urbaines.
L’entreprise Colas a développé le projet Wattway, présenté comme le premier revêtement routier photovoltaïque au monde. Ce revêtement solaire se pose directement sur la chaussée, évitant ainsi une laborieuse opération de déconstruction-reconstruction. Le premier test en situation réelle a été lancée en Normandie, le 22 décembre dernier, où 1km de route est maintenant recouvert de 2.800m2 de dalles solaires.
Ce test, en conditions réelles, permettra de répondre aux doutes qui pèsent sur l’utilisation de la route solaire. Au premier rang desquels, les effets de l’usure et la saleté produites par l’utilisation de la route qui risquent de mettre à mal le rendement énergétique de Wattway. Restera l’épineuse question du modèle économique !
Les panneaux solaires peuvent également être disposés au-dessus de la chaussée, comme dans le cas du projet Solar Serpent, qui les installe sur des ombrières, quelques mètres au-dessus de la route. Cette solution présente l’avantage de pouvoir orienter les panneaux solaires pour optimiser leur rendement, ceux-ci subissent une usure normale et ils protègent, dans une certaine mesure, la route des intempéries.
L’énergie photovoltaïque n’est pas l’unique moyen de produire de l’énergie sur une route. Plusieurs start-up suivent la piste de l’énergie piézoélectrique (Innowattech en Israël et Undergroudnd Power en Italie), qui permet de récupérer l’énergie produite par la pression, en l’occurrence celle des véhicules circulant sur la chaussée ou les dos d’âne.
La route comme borne de recharge
L’important besoin de recharge des véhicules électriques a conduit les innovateurs à tester des solutions de recharge du véhicule pendant son trajet. L’utilisation de la route comme borne de recharge relève de cette configuration. Deux démonstrateurs de recharge des véhicules électriques par induction sont aujourd’hui en cours, au Royaume-Uni et en Corée.
Les coûts de telles solutions techniques sont encore très élevées. Si leur intérêt est confirmé, elles concerneraient tout d’abord la recharge de véhicule de transport en commun à arrêts fréquents (comme les bus mais aussi les véhicules de livraison).
LE VÉHICULE ELECTRIQUE COMME PARTENAIRE DE l’INFRASTRUCTURE ELECTRIQUE
L’interaction entre les automobiles électriques et les bâtiments (Véhicule 2 Home)
Du point de vue du réseau, le véhicule électrique est perçu comme une batterie avec des roues. Celles-ci présentent des capacités de stockage croissantes, 41 kWh pour la nouvelle Renault Zoé et 100kWh pour la dernière Tesla haut de gamme (P100D). En regard, la consommation quotidienne d’électricité d’un foyer français moyen est évaluée à 13kWh.
Le véhicule électrique se connectera aux bâtiments résidentiels. Dans le cas des logements particuliers, les habitants pourront utiliser le véhicule comme une batterie d’appoint. À court terme, cet usage peut apparaître limité, mis à part dans les quelques cas d’usage où l’approvisionnement d’un logement n’est pas garanti (La continuité de l’approvisionnement électrique n’est pas toujours assuré dans les territoires insulaires, par exemple).
À moyen terme, les cas d’usage se multiplient. Plusieurs tendances les favorisent, d’une part l’augmentation de la production décentralisée d’énergie et, d’autre part, le renchérissement probable du coût de cette dernière. Ainsi, un bâtiment équipé d’un outil de production d’énergie renouvelable doit stocker l’énergie produite qu’il ne consomme pas immédiatement. La batterie du véhicule peut être utilisée à cet effet.
La hausse du prix de l’énergie et la variation de son prix sur des cycles plus courts peut conduire les utilisateurs des logements à stocker de l’énergie pour une consommation ultérieure. C’est à dire, stocker l’énergie bon marché pour la consommer aux heures où elle coûte cher. Ces cas d’usage nécessitent une borne de recharge bidirectionnelle.
Les constructeurs automobiles conduisent plusieurs expérimentations. Nissan et ENEL travaillent en commun sur le sujet et ont présenté leur hub Vehicule to Grid à Copenhague l’été dernier.
A L’ECHELLE COLLECTIVITÉ
Les possibilités offertes par la connexion d’un véhicule électrique à un réseau électrique intelligent sont plus importantes encore à l’échelle de la collectivité. Un gestionnaire de flotte, ou de stationnement, est projeté dans une position de gestionnaire d’énergie.
Une ville utilisera ainsi les véhicules électriques de son réseau d’autopartage comme une source d’énergie alternative. A Paris, la capacité de stockage des batteries des Autolib peut couvrir la consommation journalière moyenne de 8000 foyers français pendant une journée.
Un acteur privé pourra également tenir ce rôle, au service de lui-même ou de la collectivité. Une mobilité automobile majoritairement électrique et le stationnement devient un enjeu énergétique à forte valeur ajoutée.
Enfin, la mobilité électrique se généralisera en parallèle de la mobilité autonome, représentée aujourd’hui par les premiers véhicules totalement (Google Car) ou partiellement automatisés (Tesla). Les synergies entre ces deux transitions seront nombreuses.
Un véhicule électrique autonome cherchant tout-seul une borne de recharge et la libérant une fois celle-ci terminée n’appartient plus au domaine de la science-fiction. Sur ce modèle, certaines contraintes liées à la mobilité électrique et portant sur le conducteur pourront être atténuées des fonctions de pilotage automatique.
Lucas Griffaton-Sonnet