Alors que le vélo bénéficie de puissants atouts – peu coûteux, écologique, bénéfique pour la santé, silencieux – ce dernier peine encore à s’imposer en France comme un véritable mode de transport à part entière. Le manque de « culture vélo » souvent incriminé ne semble toutefois pas aussi coupable que les discontinuités des voies cyclables et l’absence de stationnement sécurisé. Si la croissance de la pratique du vélo dépend de la multitude d’acteurs du « système vélo », l’audace politique et les investissements publics associés sont déterminants.
LE RETOUR DE VÉLO : LA GRANDE BOUCLE EST-ELLE BOUCLÉE ?
Après la Seconde Guerre mondiale, la pratique du vélo a chuté massivement dans tous les pays européens. Les Pays-Bas, souvent cités en exemple, ne font pas exception : de 1950 à 1978, la pratique du vélo y a été divisée par 2,7 [1]. Cette chute est concomitante à l’essor de l’automobile qui est perçue comme un formidable outil de liberté, émancipant l’Homme de la fatigue physique. Les villes se transforment pour faire place à l’automobile. Le vélo disparait de nos villes et villages, relégué à un loisir voire à un mode de transport désuet, vulgaire et réservé « aux pauvres ».
Alors que dans les pays du Nord de l’Europe, la situation va peu à peu changer à partir des années 1970, aidée par la crise énergétique et sous l’influence des mouvements de contestation civils, en France, le « tout automobile » n’est que faiblement remis en cause. En dehors de quelques initiatives ponctuelles remarquables – par exemple, la mise en place de 250 vélos en libre-service à La Rochelle en 1976 – les investissements en faveur du vélo et les politiques de modération de la circulation automobile sont rapidement abandonnés. En France, l’usage du vélo continue logiquement de décliner.
Au tournant du millénaire, et tandis qu’en Europe du Nord, la pratique du vélo s’est consolidée, celle-ci connaît enfin un regain dans le pays du Tour de France. La tendance décliniste s’inverse, portée par des politiques volontaristes et notamment l’émergence du vélo en libre-service. Les déplacements à vélo ont ainsi augmenté de 21% entre 2000 et 2010 dans toutes les grandes agglomérations françaises [2]. Par exemple, à Lyon où la part modale du vélo a encore crû en 2016 de 26 % à tel point que sur certains axes du centre-ville, le trafic cycliste représente jusqu’à un tiers du trafic total de véhicules [3].
Malgré cette remontada, seuls 500 000 Français actifs se rendent quotidiennement au travail à vélo soit 2% des trajets domicile-travail [4]. Y compris sur les distances les plus adaptées au vélo, celui-ci peine à s’imposer. Sur les distances inférieures à 3 km, moins de 5% des trajets se réalisent à vélo [5]. En comparaison, la part modale du vélo à Copenhague est de 31 % et même de 55 % en centre-ville [6].
S’il a le vent en poupe, le vélo peine donc encore à s’imposer comme un véritable mode de transport. Les Français sont encore peu enclins à se (re)mettre en selle et les arguments cités contre le vélo sont pléthoriques : contraintes météorologiques, peur de la circulation, transpiration, fatigue physique, pollution, manque de stationnement, vols, casse… Choisir le vélo comme mode de déplacement dépend donc grandement de l’amélioration de toute l’expérience en tant que cycliste face à celle a priori plus confortable des automobilistes ou usagers des transports en commun. Force est de constater que cette expérience du vélo s’est améliorée sensiblement ces dernières années et que les mentalités ont changé.
LES AVANCÉS TECHNIQUES DES DERNIÈRES ANNÉES ONT PERMIS DE VOIR ÉMERGER DES VÉLOS OFFRANT UN PLUS GRAND CONFORT ET DEVENANT UNE ALTERNATIVE DE PLUS EN PLUS CRÉDIBLE À LA VOITURE PARTICULIÈRE
Le vélo à assistance électrique (VAE) pourrait répondre au besoin de mobilité de la moitié de Français qui travaillent à moins de 8 km de leur domicile [7]. Les VAE permettent d’accroître la vitesse de déplacement (19 km/h, c’est-à-dire davantage que la moyenne d’un véhicule motorisé en ville qui est de 18 km/h [8]) et de réduire l’effort physique. Assimilé aux cyclomoteurs, le s-pedelec permet d’aller quant à lui jusqu’à 45 km/h.
Le vélo pliant permet d’emprunter facilement les transports en commun pour continuer son voyage.
Le vélo cargo permet quant à lui de transporter jusqu’à 80 kg et couvre donc la plupart des trajets du quotidien : transports d’enfants, achats de proximité ou en grande surface [9].
Ces innovations sont complétées par celles de start-ups comme Wink qui a développé un guidon connecté permettant de sécuriser la pratique du vélo en intégrant un GPS, des phares automatiques ou encore des clignotants.
DOUZE FOIS MOINS EMETTEUR DE CARBONE QUE LA VOITURE, LE VÉLO EST EGALEMENT UN OUTIL PERTINENT DANS L’ATTEINTE DE NOS OBJECTIFS DE BAISSE DES ÉMISSIONS GLOBALES DE GAZ À EFFET DE SERRE
Premier secteur émetteur en France, les transports représentent 36 % des émissions globales de gaz à effet de serre [10]. La France s’est engagée à réduire de 20 % les émissions du secteur d’ici à 2020 pour les ramener au niveau de 1990 (Grenelle 1). Or, aucun transport public ou véhicule individuel n’est aussi « propre » que le vélo.
En tenant compte d’une durée de vie de 8 ans et de 2 400 km parcourus par an, le bilan carbone du vélo mécanique serait de 5g CO2e/km, celui d’un VAE intégrant donc aussi l’impact des batteries lithium, de 16 g CO2e/km.
Pour faire face aux détracteurs du vélo, l’European Cyclists’ Federation est allée jusqu’à adopter une méthode rigoriste incluant l’empreinte carbone des calories consommées par un cycliste comparées à celles d’un adulte au repos. Le bilan reste largement favorable au vélo avec 21 g CO2e/km pour un vélo mécanique et 22 g CO2e/km pour un VAE [11], des valeurs 12 fois inférieures à celle de la voiture (271 g CO2/passager/km) et 5 fois inférieures à celle du bus (101 g CO2e/passager/km).
CONTRE L’OPINION FRÉQUEMMENT RÉPANDUE, LES CYCLISTES SONT PAR AILLEURS MOINS EXPOSÉS AUX DIFFERENTS TYPES DE POLLUTION
Activité physique facilement intégrable par tous au quotidien, la pratique du vélo est également plébiscitée pour ses vertus en matière de santé publique. Contrairement à l’impression que peuvent parfois avoir les cyclistes, ces derniers sont moins exposés à la pollution que les automobilistes ou que les usagers du métro. L’étude menée par Atmo Midi-Pyrénées ORAMIP et relayée par le Monde [12] a ainsi démontré que l’absence d’environnement confiné permet de réduire drastiquement l’exposition notamment au monoxyde de carbone.
La pratique du vélo, en tant qu’activité physique, réduit également les risques de maladie respiratoire ou d’obésité et procure des effets bénéfiques sur la santé mentale [13].
Face à ces bénéfices, le risque d’accident, souvent cité comme l’un des freins à la pratique du vélo, est assez faible avec un accident pour un million de kilomètres [14].
Le vélo représente donc un fort enjeu économique pour la sécurité sociale. Selon l’OMS, une augmentation du nombre de kilomètres annuels parcourus à vélo par habitant de 80 km actuellement à 250-300 km (niveau de l’Allemagne, de la Suisse ou de la Belgique) permettrait d’économiser 15 Mds€ par an en dépenses de santé, journées de travail perdues et valorisation d’années de vie supplémentaires [15].
BÉNÉFIQUE POUR LES FINANCES PUBLIQUES, LE VÉLO L’EST ÉGALEMENT POUR LE PORTE-MONNAIE DES FRANÇAIS
Au gain potentiel pour la sécurité sociale, il faut ajouter les gains pour le contribuable. Le coût d’un mètre linéaire de voirie cyclable est de l’ordre de 60 € à 700 €. Le coût d’investissement d’un projet de tramway (infrastructure et matériel roulant) est quant à lui compris entre 16 000 et 25 000 € par mètre. Ce même coût pour un projet de bus à haut niveau de service (BHNS) est de 1 000 à 4 000 € par mètre pour un BHNS comportant 30 à 50% de site propre et 4 000 à 7 000 € par mètre pour un BHNS comportant 50 à 100% de site propre [16].
De plus, plusieurs mesures peu coûteuses (jusqu’à 20 fois moins que pour une piste cyclable) peuvent être mises en place pour améliorer la sécurité des cyclistes :
- Réduction de la vitesse de circulation pour que différents types de véhicules puissent cohabiter
- Aménagement de la voirie (dos d’âne et ralentisseurs, rétrécissement de la largeur de chaussée…)
- Implantation de zones 30 ou de zones de rencontre (20 km/h)
- Généralisation du double sens cyclable dans les zones à 30 km/h
Enfin d’un point de vue économique, le vélo est également nettement moins coûteux pour l’utilisateur. Les frais liés à l’acquisition et à l’entretien d’un vélo seraient de l’ordre de 0,15€ par km contre 0,21€ pour la voiture. Un écart qui se creusera prochainement avec la dépénalisation du stationnement (à Paris, les amendes tripleront à partir du 1er janvier 2018). Les transports en commun urbains sont quant à eux plus attractifs pour l’usager (0,10€ par km) mais la collectivité supporte une part importante du coût total des déplacements sous forme de subventions d’exploitation, portant leur coût total à 0,45€ par km [17].
Alors que le développement des infrastructures de transports collectifs ne peut suffire à créer à lui seul une alternative viable à l’autosolisme en tout point du territoire, le vélo propose donc une solution économiquement crédible notamment dans les zones peu denses et rurales où vivent 40% des Français.
FACE À L’ÉTENDUE DE CES BÉNÉFICES MAIS AUSSI GRÂCE AUX OFFRES DE SERVICES INNOVANTES DE JCDECAUX SUIVI PAR SES CONCURRENTS, LES VILLES ONT PU FACILEMENT METTRE EN OEUVRE UNE « SOLUTION VÉLO » TOUT INTÉGRÉE, LE VÉLO EN LIBRE-SERVICE
On a cru pendant longtemps que l’arrivée du vélo en libre-service (VLS) allait tout changer. A certains égards, le pari est réussi. A Lyon, 95% des utilisateurs de Vélo’v n’étaient pas cyclistes avant la mise en service du système [18].
Pourtant, le VLS a aussi fait des déçus notamment en raison du maillage insuffisant du territoire et du coût prohibitif pour les communes moins denses. En fonction des caractéristiques du service et du mode de gestion, la fourchette de prix observée (investissement et fonctionnement) varie ainsi de 1 100 € HT à 3 200 € HT par vélo et par an. La moyenne observée est de l’ordre de 2 400 € HT par vélo et par an [19].
Les faibles utilisations du service et les faibles taux de pénétration constatés ont conduit certaines villes à faire marche arrière. C’est notamment le cas à Aix-en-Provence (2011), Chalon-sur-Saône (2015), Caen (2017) ou Perpignan (2017). L’ADEME dans son étude d’évaluation sur les services vélos menée en septembre 2016 [20] a ainsi dessiné les zones de pertinence du VLS (voir graphique ci-dessous) et démontré que le VLS n’était pas la solution idéale sur tous les territoires, et encore moins dans les zones périurbaines et rurales.
Face à ce constat, pour modifier les habitudes de mobilité des Français, il faut réfléchir au développement moins coûteux d’une expérience utilisateur qui tende à être aussi qualitative que celle du VLS (facilité de stationnement, réduction des tracas de la maintenance, flexibilité de parcours…). C’est donc toute la chaîne d’usages du cycliste illustrée ci-dessous qu’il faut considérer.
Afin d’améliorer cette expérience, de nombreux acteurs du « système vélo » doivent collaborer et investir : Etat, collectivités locales (infrastructures vélo-friendly), entreprises et administrations (PDE, PDA), transporteurs, associations (mise à disposition de flottes) développeurs (applications d’informations), start-up (par exemple pour la maintenance à l’image de Cyclofix)…
PARMI CES ACTEURS, LES COLLECTIVITÉS LOCALES ONT UN RÔLE DÉTERMINANT DANS L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE AFIN DE RENDRE L’USAGE DU VÉLO PLUS SÛR
En la matière, la France accuse encore un retard important par rapport à ses voisins européens.
Conçus à l’origine pour libérer les rues des cyclistes indisciplinés, les aménagements cyclables se sont rapidement révélés un facteur déterminant de la pratique du vélo grâce au sentiment de sécurité renforcé que ceux-ci engendrent. 80% des accidents les plus graves à vélo résultent d’une collision avec un véhicule motorisé qui pourraient donc être évités grâce à une segmentation de l’espace de circulation [21].
En France, dans les villes et agglomérations de plus de 100 000 habitants, 19 % de la voirie comporte de tels aménagements (piste, bande, zone 30…) avec de fortes disparités entre les villes : 49% à Strasbourg, Rennes ou Metz contre 17 % à Caen [22].
La carte ci-dessous des aménagements cyclables en Europe produites par Géovelo parle d’elle-même.
Sur le sujet du stationnement, aujourd’hui le nombre de places en France serait seulement de 35 000. L’ADEME évalue à 200 000 le nombre de places vélos qu’il faudrait déployer à proximité des gares et à 80 000 en milieu urbain pour développer l’intermodalité [23].
FACE À CE CONSTAT, SEULE UNE VOLONTÉ POLITIQUE FORTE POURRA ENGENDRER LES CONDITIONS D’UNE VÉRITABLE TRANSITION PRO-VÉLO
En France, les budgets consacrés au vélo restent cependant très limités puisqu’ils représentent 5,6 €/habitant/an, soit dix fois moins que les subventions d’exploitation aux transports en commun urbains de province [24]. Dans un contexte budgétaire contraint en raison de la diminution des dotations d’Etat, l’investissement des collectivités est plus que jamais incertain.
Plus globalement, en France, le sujet de l’aménagement cyclable semble toujours aussi sensible et l’effervescence des citoyens est souvent contrebalancée par les réticences des élus quand il ne s’agit pas de l’inverse…
Pourtant, des villes et villages d’irréductibles résistent encore et toujours au « tout-auto » et nous permettent de nuancer notre constat. Saluons ici et de façon arbitraire « l’autoroute à vélos » de Grenoble équipée de pompes et d’une signalétique claire, la location longue durée de VAE dans la communauté urbaine d’Arras ou encore la ville de Pont Sainte-Maxence (12 000 habitants), primée guidon d’or 2016 par la FUB pour ses nombreux aménagements cyclables et pour son soutien à l’atelier de réparation.
Marine Trillat
[Sources]
Photo de couverture issue du blog www.ibikestrasbourg.com
Illustrations de Sempé
[1] Frédérique Héran, Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050, 2014
[2] CGDD – Évaluation de la politique de développement de l’usage du vélo pour les transports du quotidien – mai 2016
[3] Mobilitcités – Lyon : augmentation du trafic vélo de 26% en 2016 – 21 avril 2017
[4] DGCIS –Etude sur le marché de location de cycle : quelles opportunités pour les fabricants ? –juin 2014
[5] Xerfi – la marché du vélo – mai 2017
[6] Comment Copenhague est devenue la capitale européenne du vélo – 9 mai 2014
[7] Dads 2004
[8] L’interconnexion n’est plus assurée – 8 choses à savoir avant d’acheter un vélo à assistance électrique – 12 mars 2015
[9] The Shift Project – Décarboner la mobilité dans les zones de moyenne densité – 2017
[10] ekodev – Baromètre mobilité 2016
[11] http://www.avem.fr/actualite-est-ce-que-le-vae-est-polluant-5861.html
[12] Le Monde – Auto, métro, vélo : où respire-t-on le moins d’air pollué ? – 13 mars 2014
[13] Parcourir 20 km par semaine, réduit le risque de mortalité précoce par an de 10 % ce qui correspond à 2,3 morts évitées pour 10 millions de km parcourus à vélo
[14] CGDD – Évaluation de la politique de développement de l’usage du vélo pour les transports du quotidien – mai 2016
[15] Etude citée dans Le retour de la bicyclette de Frédéric Héran
[16] GART – Les pratiques d’intermodalité Vélo – transports collectifs – 2014
[17] CGDD – Évaluation de la politique de développement de l’usage du vélo pour les transports du quotidien – mai 2016
[18] Gazette des communes – Vélos en libre-service : état des lieux et perspectives – septembre 2013
[19] CEREMA – Contractualisation des vélos en libre-service en France – Etats des lieux 2005-2013
[20] ADEME, Etude d’évaluation sur les services vélos – septembre 2016
[21] Mobilette, Spécial vélo en ville – 2 octobre 2017
[22] CGDD – Évaluation de la politique de développement de l’usage du vélo pour les transports du quotidien – mai 2016
[23] ADEME – infographie par services vélo – 2016
[24] GART – Les pratiques d’intermodalité Vélo – transports collectifs – 2014