Depuis le début des années 2010, le satellite de télécommunications navigue en eaux troubles, entre déclin annoncé et promesses de ruptures technologiques.
Les satellites géostationnaires (GEO) étaient d’abord promis à un déclin fatidique du fait de capacités limitées et de modèles économiques incertains, dans un contexte où les technologies terrestres semblaient destinées à une couverture exhaustive des populations ; aujourd’hui, de nouveaux projets ambitieux sont menés, financés, et lancés, de l’américain Viasat (Viasat-3) à l’européen Eutelsat (Konnect et Konnect VHTS).
Dans le même temps, les grands acteurs disruptifs de la tech ont annoncé et/ou lancé des projets d’envergure promettant une rupture technologique importante, en développant des constellations en orbite basse : Softbank (OneWeb), Amazon (Kuiper), SpaceX (Starlink), etc. Ces nouveaux systèmes doivent, selon leurs supporters, révolutionner les systèmes satellitaires et ses usages et lui offrir un brillant avenir.
Les récentes mises sous Chapter 11 de OneWeb, précurseur des constellations LEO, et d’Intelsat, deuxième acteur historique des satcom, ont toutefois une nouvelle fois jeté le doute sur la robustesse de la filière et interrogent sur ses perspectives. Entre déclin annoncé, espoirs technologiques et difficultés financières, quel avenir pour le satellite de télécommunications ?
Le satellite GEO tout d’abord, semble avoir enfin trouvé sa place dans le mix technologique.
Les satellites GEO, fortement critiqués en Europe suite à certaines difficultés rencontrées sur les générations précédentes, semblent s’imposer comme un maillon essentiel pour assurer la couverture des populations rurales et isolées en très haut débit (> 30 Mb/s).
Cela part tout d’abord du constat aujourd’hui partagé par un nombre croissant de décideurs de la nécessité d’un mix technologique. Le rêve d’une « gigabit society » où 100% des populations européennes disposeraient d’un accès très haut débit grâce aux technologies terrestres (fibre, 4G/5G) se heurte à la réalité technique et économique. En effet, le déploiement de fibre optique dans des zones éloignées, difficiles d’accès, et comprenant une faible densité de clients potentiels ne peut être rentable et se ferait au prix de subventions publiques extrêmement élevées, pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros par utilisateur. Le déploiement 100% fibre envisagé par la France notamment est ainsi financièrement très coûteux et techniquement complexe, et pourrait se voir limité. Les technologies mobiles 4G et 5G comme solutions de complément ne pourront pas non plus assurer une couverture de 100% des territoires du fait de contraintes techniques et financières similaires. Les décideurs se tournent alors vers le satellite pour assurer la connectivité du « dernier pourcent » de population en très haut débit, car il représente la seule technologie à en être capable à un coût raisonnable.
Dans le même temps, de nouveaux projets GEO ambitieux émergent et apportent des solutions techniques de qualité qui peuvent assurer le complément idéal aux technologies terrestres à court et moyen terme. Les nouvelles générations de satellites dits « VHTS » (Very High Throughput System) offrent ainsi des capacités décuplées (500 Gb/s pour Konnect-VHTS d’Eutelsat, contre 70 Gb/s pour Ka-SAT, aujourd’hui en service). Cela pourra permettre une connectivité en très haut débit pour plusieurs millions d’utilisateurs en Europe aujourd’hui.
Ces nouveaux systèmes GEO s’accompagnent de modèles industriels et économiques plus compétitifs, permettant de lever partiellement un des freins historiques du satcom qui est le coût des équipements utilisateurs (parabole, box). Ceux-ci pourraient en effet être divisés par deux par rapport aux anciennes générations, et faciliter ainsi l’adoption des nouvelles offres satellitaires. A ces progrès industriels s’ajoute la perspective d’une concurrence renouvelée, entre l’américain Viasat et l’européen Eutelsat, qui atteste du potentiel de marché perçu par les acteurs et pourra bénéficier aux utilisateurs finals.
Pour autant, les limites inhérentes aux technologies GEO demeurent réelles et constitueront un frein important à leur croissance à plus long terme. De fait, la latence est une constance physique liée à l’éloignement du satellite et ne pourra être réduite. La capacité des satellites en orbite, fixe par nature, peut difficilement s’adapter à des comportements d’utilisateurs en constante évolution (et notamment à la forte croissance des volumes de données consommées).
Le satellite GEO semble donc avoir trouvé sa place dans le mix technologique comme complément aux technologies terrestres pour assurer la couverture THD des zones isolées à horizon 2025-2030. Au-delà, d’importants progrès technologiques devront être réalisés pour que les systèmes GEO continuent à répondre aux besoins croissants des utilisateurs finals, et conservent leur place face à des technologies aujourd’hui émergentes.
Les évolutions technologiques et les nouveaux usages pourront décupler le potentiel du satellite à long terme
Les constellations en orbite basse (LEO) représentent une innovation technologique et industrielle de rupture pour le satellite de télécommunications. D’un satellite géostationnaire unique couvrant une portion fixe du globe avec des capacités limitées et une latence importante, les LEO promettent de passer à un ensemble de satellites produits en série couvrant la totalité du globe, offrant des capacités évolutives (en remplaçant ou ajoutant des satellites), et éliminant presque la latence (les LEO étant bien plus proches de la Terre). Techniquement, c’est la promesse de la « fibre par le ciel » faite par OneWeb et O3B : des performances à l’usage proches de celles d’une connexion fibre.
Le développement du satellite quantique pourrait permettre à terme de sécuriser complètement des communications, ce qui n’est aujourd’hui pas possible sur des réseaux fibrés. Cela revêt une importance fondamentale pour les flux cryptés les plus critiques : militaires et gouvernementaux, bancaires, voire sanitaires.
L’avènement des standards 5G permet également le développement de technologies satellitaires permettant une couverture en haut débit mobile par satellite sur l’ensemble du globe, via des terminaux standards (smartphones). Cela pourra signifier à terme une couverture 4G/5G complète, partout sur le globe, sans « trou » de couverture.
Toutes ces technologies ne sont toutefois pas matures, et leurs modèles économiques ne sont pas prouvés. Les systèmes LEO seront dans un premier temps réservés à des usages B2B et B2G du fait du coût très élevé des équipements utilisateur (entre 10 000$ et 1 million de dollars). L’intensité capitalistique de ces projets qui nécessitent des investissements de plusieurs milliards de dollars fragilise leurs business models, en témoigne la mise sous Chapter 11 de OneWeb. Ces constellations devront donc dans un premier temps s’appuyer sur des contrats gouvernementaux importants pouvant parfois s’apparenter à des aides d’Etat (SpaceX), ou sur une base de clients B2B existants très importante (Amazon), et ne devraient pas connaitre d’applications grand public en Europe avant au moins 5 à 10 ans.
Pour autant, ces nouvelles technologies satellites pourront s’appuyer le développement rapide des usages connectés pour trouver et robustifier leurs modèles économiques, et renforcer leur potentiel de marché.
La consommation de données par les utilisateurs finals croît de manière considérable : en France, la consommation totale de données mobiles a ainsi été multipliée par 16 entre 2015 et 2020 (ARCEP). Les nouvelles technologies satellite et notamment les capacités évolutives des LEO seront donc centrales pour répondre efficacement à cette demande croissante.
Le développement des nouveaux usages connectés, en lien notamment avec la 5G, pourra également nécessiter des connexions satellitaires afin d’assurer la continuité de certains services. C’est le cas par exemple de la santé connectée, qui devra être disponible en zone isolée comme en agglomération, ou des véhicules connectés pour lesquels une continuité de service peut revêtir un caractère critique.
Pour tous ces usages nouveaux, le satellite pourra fournir une solution adaptée, en jouant plusieurs rôles cruciaux : connectivité directe à l’utilisateur final, lien d’infrastructure (backhaul) des données vers le cœur de réseau, solution de redondance pour des applications critiques, …
Le satellite a un avenir dans les télécommunications. A court et moyen terme, les modèles traditionnels de satellites GEO trouvent enfin leur place dans le mix technologique et serviront de complément de couverture HD/THD aux technologies terrestres.
A moyen et long terme toutefois, l’avenir du satellite passera par de nouveaux systèmes techniques et industriels. Leurs modèles économiques commencent à émerger et doivent être développés et robustifiés en parallèle du développement de nouveaux usages. Face à ces développements et à la concurrence de géants de la tech, les acteurs historiques des satellites de télécommunications sont dans un moment charnière et doivent parvenir à se positionner sur les bonnes technologies pour les bons usages, avec les bons modèles économiques et en constituant les bons écosystèmes. Pour assumer les lourds investissements dans de nouveaux systèmes (LEO, 5G) et être compétitif face à des géants de la tech parfois fortement soutenus par leurs gouvernements, la question de rapprochements pouvant aller jusqu’à une consolidation du secteur pourra également se poser dans un futur proche.
Raphaël Koenig & Chrystelle Briantais
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