L’Agence pour la Lutte contre la Fraude à l’Assurance (ALFA) estime l’indemnisation de sinistres frauduleux en France en 2018 à 252 Millions d’euros sur le seul périmètre de la non-vie. Même si les fraudes à l’assurance restent difficiles à détecter et à évaluer en termes d’impacts financiers. La définition d’une politique de lutte anti-fraude (LAF) constitue une opportunité de gain « sans douleur » pour l’assureur. La perspective de réduire la charge de sinistres devient donc une piste intéressante, a fortiori lorsqu’elle est indolore pour les assurés, hormis les fraudeurs. Par ailleurs, détecter efficacement les fraudes permettraient une amélioration des résultats techniques pouvant se traduire par un niveau de prime plus faible ou une compétitivité accrue sur le marché de l’assurance. Aujourd’hui, le recours à la technologie et aux données permet d’enrichir les capacités des acteurs à lutter contre la fraude.
Les contrôles doivent devenir automatiques et systématiques
Les dispositifs actuels mis en œuvre par les acteurs montrent leurs limites en termes d’efficacité pour des raisons évidentes de coûts et de délais. Les contrôles poussés ne se font que sur des échantillons de dossiers et sont souvent réalisés après un traitement métier (entrée en relation d’affaires, indemnisation de sinistre ou remboursement de frais de santé) pour des questions de délais de traitement, notamment en matière de sinistres. L’analyse systématisée de tous les documents dès leur réception est aujourd’hui accessible à tous grâce à la démocratisation des modèles OCR et des solutions de RPA.
Au-delà des solutions d’analyse d’imagerie, la technologie blockchain est de plus en plus utilisée pour certifier des documents (bulletin de paie, attestation, etc…) comme le font déjà certaines entreprises telles que EDF, Engie, La Poste et la Caisse des Dépôts pour vérifier et attester de l’authenticité des justificatifs de domicile utilisés par les particuliers auprès des banques, assureurs et prestataires sociaux. A titre d’exemple, la solution Stratumn permet de tracer et gérer le processus de contrôle des documents et conserver une piste d’audit signée et horodatée des contrôles des pièces sur la blockchain avec intégration de smart contrats pour générer des alertes automatiques et notifications aux cellules anti-fraude.
L’analyse prédictive, un assistant au service des collaborateurs
La mise en œuvre d’une démarche de détection prédictive permet d’utiliser des outils avancés d’analyse des données afin de se concentrer davantage sur les dossiers suspicieux mais également dans une optique de réduction du temps de traitement des sinistres. Les modèles de machine learning se basent sur les méthodes de scoring ou de classification pour identifier les dossiers avec de fortes probabilités de fraude.
Cependant, les modèles prédictifs présentent deux inconvénients majeurs :
- La mise en œuvre peut s’avérer longue : il s’agit de commencer par nettoyer les données et calibrer le modèle pour éviter les « faux positifs ». Cette démarche nécessite l’expertise des métiers (gestionnaire, actuaire, juriste) pour interpréter les résultats car le data-scientist ne pourra jamais aller au bout de la démarche seul.
- Certains modèles peuvent identifier des risques de fraude sans donner de véritable pré-indication sur les informations à vérifier imposant au gestionnaire de faire un contrôle complet pour valider ou non un dossier.
Malakoff Humanis utilise les modèles d’analyse de machine learning afin d’identifier les cas qui diffèrent d’un comportement moyen pour cibler des contrôles médicaux sur les arrêts de travail. Les modèles d’IA deviennent des super-assistants pour multiplier les moments de contrôle et les pièces contrôlées. Les modèles nécessitent cependant d’être mis à jour et nourris de nouvelles données pour être plus efficaces. Ainsi, les modèles détecteront un nombre plus important de fraudes et permettront aux assureurs d’être plus réactifs pour les identifier.
L’écosystème de « Fraud as a Service »
Les algorithmes « maison » c’est-à-dire entrainés uniquement sur les données de la compagnie atteignent vite leurs limites car ils ne peuvent s’appuyer que sur le « vécu » de l’assureur. En général, ils font apparaître ce que l’on nomme des “faux positifs” de l’ordre de 50 % à 80%. Les modèles des assurtech qui travaillent pour plusieurs acteurs sont donc beaucoup mieux entraînés dans la mesure où elles brassent un nombre de données plus important. Elles peuvent ainsi découvrir des cas frauduleux qui ne sont pas courants chez l’assureur souhaitant utiliser un modèle prédictif.
Qu’ils soient entraînés sur des données « maison » ou externes, les modèles restent une aide à la décision pour les gestionnaires. Afin de bâtir une stratégie contre la fraude efficace, les assureurs doivent également procéder à une auto-analyse critique de tous leurs process dans la mesure où ils constituent des éléments qui donnent prise aux fraudes à l’assurance. Par ailleurs, une stratégie de lutte contre la fraude à l’assurance ne peut pas se limiter qu’au curatif mais doit également reposer sur des actions de prévention.
Marie-Sophie Houis-Valletoux, Associée PMP & Jean Levoir, Senior Advisor PMP