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Assurance maladie : ni étatisation, ni statu quo

By 23 March 2022April 3rd, 2024Services Financiers & Institutions

Le Haut Comité pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM), créé en 2003 et aujourd’hui composé de plus de 70 représentants de toutes les parties prenantes du système de santé, a publié – sans vote ni proposition – son rapport d’étude de faisabilité de quatre scénarios polaires d’évolution de l’articulation entre régimes d’assurance maladie obligatoire (RO) et complémentaire (OCAM). Ce rapport est l’aboutissement d’une réflexion engagée en 2018 et animée par son secrétariat général ; à noter qu’il a bénéficié du soutien d’un groupe de travail interadministratif pour la rédaction. Il est malgré tout très étonnant que les 4 scénarii proposés – ou plutôt 4 déclinaisons d’un même scénario – soient à “sens unique”, celui d’une étatisation complète du financement des dépenses de santé.

Aucune réflexion sur une forme de coopération

Deux points sont frappants à la lecture du rapport. C’est un texte “à charge” contre les organismes complémentaires d’assurance maladie et le régime obligatoire est paré de toutes les vertus. Deuxièmement, c’est une vision “rétroviseur” et il y a une absence totale de prise en compte des dynamiques (technologiques, organisationnelles…) en cours et des évolutions des besoins de la population et des dépenses de santé. Alors que l’hôpital doit prendre son “virage ambulatoire” et travailler de plus en plus avec la ville, que la médecine de ville doit déployer de nouveaux modèles d’organisation beaucoup plus collaboratifs entre médecins et para médicaux, le secrétariat général du HCAAM n’envisage aucune réflexion sur l’articulation entre régimes obligatoire et complémentaire sous la forme d’une coopération.

L’étatisation est une impasse

Contrairement à ce que présuppose le rapport du HCAAM, le co-pilotage du système de santé par le ministère de la Santé et la caisse nationale d’assurance maladie mène à une impasse. Nous lui devons la responsabilité de l’illisibilité des grilles de remboursement, du niveau des tarifs incitatifs pour les professionnels à une course au volume et à la réalisation d’actes simples, de la lenteur du déploiement de modèles alternatifs au paiement à l’acte…

L’actualité illustre cette impasse. Alors que la crise Covid dégrade la santé mentale de la population et notamment des enfants et adolescents – au point que Santé Publique France a renforcé son dispositif de surveillance – les modalités de prise en charge à venir des consultations de psychologues par le régime obligatoire sont vouées à l’échec (en raison notamment d’une base de remboursement beaucoup trop faible et d’une articulation avec la médecine générale inadéquate). Pourquoi le régime obligatoire n’at-il pas travaillé en concertation avec les OCAM, qui avaient pourtant pris l’initiative en 2021 de prendre en charge intégralement 4 séances de psychologue, dont plus d’un million de personnes ont déjà bénéficié ? 

Le statu quo n’est plus possible

La prise en compte des enjeux du système de santé dans sa globalité donne une tout autre perspective, sans commune mesure avec 7,9 Mds€ de coût de gestion des OCAM qui mobilisent le HCAAM. Ces enjeux sont bien connus. Nous retiendrons plusieurs choses : D’abord le rattrapage en santé mentale, qui constitue le 1er poste de dépenses de l’assurance maladie par pathologie, ensuite l’adaptation de l’offre de soins à la transition épidémiologique (les maladies chroniques sont désormais la 1re cause de mortalité et concentrent plus de 65 % des dépenses). Il faut aussi mettre en place une politique nationale de prévention primaire et secondaire visant notamment à lutter contre la mortalité évitable, une des plus élevées en France parmi les pays européens.
Enfin lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé, qui s’accroissent continument.
Comment un encadrement encore plus resserré du régime complémentaire voire sa disparition permettrait au régime obligatoire de mieux adresser ces enjeux, ce qu’il peine tant à faire seul depuis des décennies ?

Mobiliser les organismes d’asurance maladie complémentaires

Les OCAM sont le premier financeur des dépenses optiques, dentaires et audio prothétiques. Aujourd’hui, en dentaire par exemple, le régime obligatoire pilote le programme “M’tes dents” pour les enfants et adolescents, mais sans aucune coordination avec les OCAM. Le taux de participation, s’il progresse, reste loin des objectifs et les inégalités sociales demeurent très fortes.
Sur ces postes où leur contribution à la solvabilisation des dépenses est majeure, mobiliser les OCAM sur des objectifs de santé publique constituerait un levier fort dans l’amélioration de la qualité et de la pertinence des soins. Ces objectifs seraient ceux d’une politique de gestion des risques applicable à tous les acteurs.

Affections de longue durée

Les OCAM financent près de la moitié des dépenses de soins de ville des assurés sociaux hors ALD (85 % de la population). À ce titre, ils pourraient aussi contribuer en tant qu’investisseurs à la refonte de l’offre de soins de premiers recours : organisation de parcours gradués selon les besoins, inclusion des psychologues, articulation avec l’hôpital pour un vrai suivi des hospitalisations voire des alternatives à l’hospitalisation, développement de la télémédecine… Les véhicules juridiques pour encourager et soutenir ces investissements existent déjà : fiducie, société coopérative de santé…

Concernant les affections de longue durée (ALD), certes le régime obligatoire en supporte la majeure partie du coût, mais pour les OCAM le coût technique de ces patients est en moyenne deux fois plus élevé que celui des autres assurés. Pour deux raisons principales : plus fragiles, ces patients sont plus atteints d’autres pathologies hors ALD et, dans le cadre de leur(s) ALD, beaucoup de dépenses ne sont pas ou très mal prises en charge par le RO (dépassement d’honoraires, chambre particulière à l’hôpital, consommable…). Or le poids des ALD, qui concentrent déjà 65 % des dépenses de l’assurance maladie, va progresser dans les prochaines décennies en raison du vieillissement de la population et faute d’une politique active de prévention primaire (au moins 40 % de ces maladies seraient évitables par des changements de comportements). Là aussi, nombreux sont les domaines d’articulation entre RO et OCAM à explorer : prévention secondaire, programmes d’accompagnement des patients…
Ces enjeux vont bien au-delà des 7,9 Mds€ de coûts de gestion des OCAM qui ont mobilisé le HCAAM depuis 4 ans ! Si la cohabitation des deux régimes obligatoire et complémentaire n’apporte aujourd’hui pas assez de valeur et génère des coûts de gestion trop importants, ce n’est certainement pas en supprimant le plus petit des deux que le plus gros sera plus performant. Au contraire, c’est en obligeant les deux régimes à organiser leur complémentarité et à se coordonner. Quand le HCAAM engagera-t-il ces travaux ?

Olivier Milcamps, Senior Manager PMP

Consulter l’article Publié le 21 mars dans Les Echos.