Le pilotage de la trajectoire carbone est un des éléments fondamentaux du pilotage de la performance globale.
Un des principaux outils utilisés pour accélérer son pilotage est le prix interne du carbone explique Bastien Brulé. La mise en place de cet outil nécessite un véritable changement de « mindset », associé à des actions de transformation fortes et à la mise en place d’une gouvernance dédiée.
L’évolution du cadre législatif et le changement de comportement des consommateurs en matière d’écologie imposent aux entreprises de se fixer des objectifs de décarbonation de plus en plus engageants. Pour fixer ces objectifs de réduction, les entreprises doivent comprendre la répartition de leur empreinte carbone par scope et définir des indicateurs à suivre comme : l’émission de carbone en valeur absolue (des tonnes de CO2 émises), l’intensité carbone (kg CO2 / € EBITDA) ou encore le prix interne du carbone (en € à la tonne de CO2).
Quels objectifs cherche-t-on à atteindre avec un prix interne du carbone ?
La mise en place d’un prix interne du carbone permet d’anticiper la gestion du risque climatique et son impact sur les prix externes (taxes ou prix de marché pour les secteurs concernés par EU ETS) ainsi que de d’objectiver les ambitions de décarbonation fixées par l’entreprise.
Par ailleurs en accélérant les investissements bas carbone et en valorisant auprès de leur chaîne de valeur les solutions associées, les entreprises peuvent réduire leur coût du capital en accédant à de nouveaux outils dédiés aux taux bonifiés (ex : Green bonds …). Enfin l’amélioration de leur efficacité énergétique est une composante essentielle de la pérennité de la rentabilité économique dans de nombreux secteurs particulièrement dans le contexte inflationniste actuel.
La mise en place d’un prix interne du carbone nécessite de revoir ses bases de géométrie. En effet elle doit répondre à 3 dimensions :
Le niveau de prix (ou hauteur) doit être fixé en prenant en compte soit le prix de marché, soit la valeur sociale du carbone. Une fois l’indicateur de calcul du prix fixé, plusieurs niveaux de prix peuvent être établis, notamment en fonction de la géographie ou du type de décision / activité.
Le périmètre des émissions couvertes (ou largeur) permet de comprendre quel est le champ d’application du prix interne du carbone (scope 1, 2 voire 3) et ainsi pour le scope 3 de se questionner sur l’alignement de la tarification du carbone avec les décisions des clients ainsi que les « accords cadre achats » avec les fournisseurs.
L’influence du prix interne du carbone (ou profondeur) permet de définir si le prix interne du carbone a pour vocation d’avoir une influence forte sur la prise de décision ou de n’avoir qu’un rôle purement indicatif. Afin d’en faire un indicateur aussi important que les indicateurs financiers, le prix du carbone interne doit être piloté à un niveau hiérarchique élevé et être diffusé largement au sein de l’entreprise.
Les pratiques actuelles dans les entreprises :
On estime aujourd’hui qu’environ 20% à 30% des grandes entreprises ont mis en place un prix interne du carbone au sein de leur organisation. Ce pourcentage est en augmentation et de nombreux groupes s’interrogent pour l’intégrer dans leur processus de décision de manière plus ou moins systématique.
Le 1er objectif cité par un panel d’entreprises françaises interrogées par notre cabinet est bien d’assurer l’alignement des investissements (CAPEX et R&D) de l’entreprise avec ses objectifs de réduction des émissions de CO2 et ainsi favoriser des solutions bas carbone qui n’auraient pas été jugées rentables assez tôt sans tarification interne du carbone.
Cette volonté de transformation résulte d’une nécessité d’anticiper l’évolution des prix externes (taxes ou prix de marché) et la gestion du risque climatique.
Afin d’atteindre les objectifs de réduction fixés, les entreprises inscrivent le pilotage de leur empreinte carbone dans les instances décisionnaires et les cycles de gestion classiques (comités d’investissement & business review) avec l’ajout d’un axe d’analyse en propre et le suivi de l’évolution de l’empreinte carbone (scope 1, 2 et 3) en appui sur des indicateurs limités dédiés. Certaines entreprises vont même jusqu’à faire évoluer les éléments de rémunération variables des dirigeants en les liant aux plans d’actions dédiés.
Les prix internes sont généralement fixés, dans le cadre d’une gouvernance dédiée, par un comité d’experts internes et externes s’appuyant sur les recommandations des scientifiques. La majeure partie des entreprises ayant mis en place un prix interne du carbone prend également en compte les différents horizons de temps afin de définir des trajectoires croissantes du niveau de prix.
Ces démarches sont souvent portées par les directions de la stratégie et de la finance, elles font partie de la stratégie de management des risques et permettent à certains grands groupes internationaux d’anticiper les évolutions de la législation dans certaines zones géographiques.
Enfin il faut rappeler que le prix interne du carbone n’est pas une fin en soi.
Selon la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), le prix interne du carbone ne suffit pas à assurer la transition d’une organisation vers un modèle neutre en carbone. Le prix interne du carbone n’est qu’un moyen, un outil parmi un panel d’outils disponibles pour les entreprises. D’autres outils de pilotage comme le budget carbone existent. Il est généralement utilisé par des grands groupes et correspond au niveau maximal de CO2 qui peut encore théoriquement être émis par une BU ou une zone en cohérence avec les objectifs de la trajectoire SBTi des groupes concernés.