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Comment redonner du génie à l’assurance complémentaire santé ?

By 9 octobre 2019avril 5th, 2024publications

Marie-Sophie Houis-Valletoux, Associée PMP et Olivier Milcamps, dans un article écrit à 4 mains, vous exposent leur vision de « comment redonner du génie à l’assurance complémentaire santé ».

Comment redonner du génie à l’assurance complémentaire santé ?

Alors qu’approche le 75ème anniversaire de la Sécurité Sociale à laquelle les Français restent extrêmement attachés, les doutes croissent quant à la pérennité voire l’utilité des organismes complémentaires d’assurance santé facultative (OCAM). 

Malgré un mouvement de concentration du secteur sans précédent – le nombre d’OCAM passant de 1 702 en 2001 à 474 en 2017 – et une augmentation de leur taille – les 50 plus grands ont collecté 75% des cotisations en 2017 contre 54% en 2006  – leur permettant de dégager des économies d‘échelle significatives pour investir dans de nouveaux services aux assurés, jamais la défiance de leurs clients à leur égard n’a été aussi forte : 69% des 6 680 avis recueillis par Opinion Assurance sur leurs OCAM se déclarent en effet insatisfaits voire très insatisfaits.

La complémentaire santé obligatoire, les assureurs complémentaires santé délégataires de gestion et collecteurs de taxe … Une tendance inéluctable ?

Outre par le grand nombre d’OCAM, la France se distingue fortement des autres pays européens par leur poids beaucoup plus important dans le financement de la consommation de soins et biens médicaux (CSBM), mais aussi par l’hyper réglementation de leur activité.

En 2017, les OCAM finançaient 13,2% de la CSBM contre 12,3% en 2002 après avoir culminé à 13,7% en 2013 pour un montant moyen de prestations de près de 500 € par personne en France, alors que leur poids est compris entre 3% et 8% en Allemagne, Suisse et aux Pays-Bas, pour un montant moyen de prestations par personne plus faible, +- 300 €.

Dans ces pays, l’activité d’assurance santé facultative est très peu réglementée, les assureurs pouvant par exemple pratiquer la sélection médicale et définir librement leur panier de soins et les conditions de remboursement.

A l’inverse en France leur activité est de plus en plus régulée depuis que l’instauration de la CMU-C, effective le 1er janvier 2000, a de facto « consacré » les OCAM comme un acteur indispensable de la protection sociale. Les gouvernements successifs, quelle que soit leur obédience, n’ont eu de cesse de contribuer à une universalisation progressive de la complémentaire santé qui s’est accélérée ces dernières années ; on peut noter les loi Evin (1989), contrat solidaire et responsable (2004), solvabilité 2 (2016), généralisation de la complémentaire santé d’entreprise (2016) qui oblige l’employeur à proposer aux salariés une couverture santé complémentaire et de la financer à hauteur de 50% minimum … Depuis 2016, les OCAM ont été contraintes d’appliquer 54 nouvelles réglementations, soit un impact de 3% au moins sur leurs frais de gestion. A court terme, on ne peut prévoir une inversion de cette tendance : 100% Santé (2019-2021), résiliation infra annuelle (2020), CMU-C contributive (2020), encadrement des frais de gestion (on en parle), réglementation des couvertures santé des seniors (on en reparlera peut-être) …

Ce qui n’empêche pas le reste à charge des ménages de continuer à augmenter.

En plus de fortement encadrer leur activité, les pouvoirs publics ont également transformé les OCAM en collecteurs de taxes : aujourd’hui, les taxes perçues sur les contrats d’assurance santé facultative représentent 13,27% des cotisations des contrats responsables (et 20,27% pour les contrats non responsables) contre 1,75% en 1999, soit une recette fiscale de 4,6 milliards € pour les contrats responsables mais de moins de 150 millions € pour les contrats non responsables.

Cette tendance, qui semble fortement ancrée dans la haute administration du pays, peut-elle être durable ? Et si le système de santé avait de plus en plus besoin d’espaces de liberté, y compris tarifaire ?

Et si la vraie question n’était plus de solvabiliser les reste à charge des actes de santé curatifs dans le cadre d’un accès aux soins encore très peu organisé / réglementé ?

Dans le même temps, nous constatons que les fortes évolutions à l’œuvre du côté de l’offre de soins ne sont guère compatibles avec le système de financement actuel.  Parmi ces évolutions, 3 sont très structurantes.

  • La transition épidémiologique et la prédominance des maladies chroniques dans la CSBM : ces maladies concernent aujourd’hui 35% de la population, concentrent près de 70% des dépenses et mobilisent près des 4/5 de la croissance annuelle des dépenses de santé. Surtout, selon l’OMS et l’INCa, au moins 40% de ces pathologies chroniques et des cancers pourraient être évités si nous changions nos comportements individuels (meilleure alimentation et plus d’activité physique notamment). Sans compter que certaines pathologies comme le cancer deviennent des maladies chroniques, alors que le nombre de nouveaux cas augmente chaque année du fait notamment du vieillissement de la population.
  • Le virage ambulatoire à l’hôpital: initié il y a plus de 20 ans en chirurgie (avec le développement de la chirurgie ambulatoire, qui devrait représenter 70% des actes de chirurgie d’ici 2022 mais pour lequel la France continue d’accuser un important retard par rapport aux autres pays de l’OCDE), cette rupture dans l’organisation des soins est en train de se développer fortement en médecine et atteindre également les soins de suite et de rééducation. Par exemple, en cancérologie, les chimiothérapies par voie orale devraient représenter 50% des chimiothérapies en 2020 contre 25% aujourd’hui, sans compter qu’une part croissante (15% contre 3% aujourd’hui) des chimiothérapies intraveineuses pourront aussi se faire à domicile. Cette évolution nécessite une adaptation majeure de l’organisation du parcours de soins des patients afin de mieux articuler la ville et l’hôpital, sans compter le besoin de développer l’éducation thérapeutique des patients pour renforcer leur observance au traitement.  De façon plus générale, la nécessité de réduire les frontières et de faciliter les ponts entres médecine de ville et milieu hospitalier et l’enjeu de la création de structures pluridisciplinaires pour une prise en charge globale de la population constituent des enjeux clé pour répondre aux enjeux de santé qui nous attendent.
  • Une très forte hausse du coût des nouvelles technologies comme autant d’opportunités d’une prise en charge plus efficiente des individus. Par exemple, pour faire face aux besoins de santé de la population et leur permettre de bénéficier des dernières connaissances de la science, il faudrait ainsi a minima doubler le nombre de plateaux d’équipements lourds en imagerie, sans compter le développement important de la radiologie interventionnelle.  Autre exemple, l’immunothérapie : face au coût de ces traitements, l’assurance maladie décide par exemple de ne pas les rembourser (comme le Xofigo dans le cancer de la prostate, traitement par injection qui coûte 30 000 € pourtant remboursé dans 23 autres pays) ou tarde à le faire (comme le Keytruda dans le cancer du poumon, dont le traitement coûte 6 000 € par mois, admis au remboursement par l’assurance maladie 18 mois après l’Allemagne ou la Belgique). Pendant ce temps, les règles de remboursement s’imposant aux OCAM pour les postes optique, audioprothèse et dentaire, sont considérablement renforcées en impliquant fortement les professionnels de santé et les assureurs.

Il est légitime dans ce contexte de s’interroger sur comment les Pouvoirs Publics vont pouvoir faire face à la croissance mécanique des soins fréquents et peu couteux et des soins peu fréquents et très couteux … l’encadrement et la généralisation croissante de la complémentaire santé ne pouvant suffire à résoudre à cette difficile équation.

La question de la prévention (primaire / secondaire / tertiaire) constitue sans doute une clef essentielle pour tenter de résoudre cette équation complexe et pourtant rien ou peu est fait à ce stade pour inciter professionnels de santé et assurés à être acteur de son développement.

Nous constatons l’essoufflement progressif des fabuleuses promesses de notre système :

  • « Je vais où je veux quand je veux … mais je ne sais pas où aller et l’offre est insuffisante par rapport à la demande »
  • « Ma santé est gratuite … mais la complémentaire santé est de plus en plus chère, j’ai de plus en plus de dépenses qui restent à ma charge et certains traitements me sont interdits car ils ne sont pas remboursés »

Une nouvelle ère pour les OCAM autour de la recherche de solutions de prise en charge de la santé plus efficientes ?

Dans ce contexte, les OCAM ont sans doute un rôle à jouer pour contribuer à imaginer et mettre en œuvre un nouveau système de santé tant en termes d’offre que de financement, les deux étant intimement liés. Les acteurs historiques de la complémentaire santé les mutuelles et les institutions de prévoyance ont développé deux outils essentiels :

  • L’action sociale, une réponse au service de la solidarité ;
  • Des structures de santé (livre III des mutuelles, EHPAD des IP), une alternative aux offres de santé privées et publiques.

Ces acteurs ont également développé des offres de service autour des garanties santé et prévoyance, tant en collectif qu’en individuel ayant vocation à préserver le capital santé de leurs bénéficiaires.

Dans le même temps, ils se sont interrogés sur les enjeux de maîtrise du risque au profit des assurés et des financeurs avec une attention particulière sur les conditions de l’usage (utile / connu / accessible / simple) et de la pérennité économique (qui paie et pour quoi ?).

Sans doute le bon timing pour que les OCAM, dont le mouvement de concentration constitue une opportunité de construire des groupes ayant les moyens d’envisager et de déployer de nouvelles approches, pour contribuer à imaginer un nouveau système de prise en charge de la santé autour de :

  • L’accent mis sur la préventionlà où le système actuel est concentré sur le curatif avec un modèle permettant de mesurer et d’exploiter les économies réalisées ; 
  • L’orientation des individus dans le système de soins ;
  • Le développement de structures pluridisciplinaires prenant en charge les individus dans la continuité…
    • remettant en cause la rupture historique de notre système de soins entre médecine de ville et hôpital ;
    • permettant la prise en charge globale des patients atteints de pathologies chroniques ;
  • La mise en œuvre de dispositifs permettant d’engager tant les assurés que les professionnels de santé dans une économie de résultats et non plus de moyens ;
  • L’exploitation du potentiel lié aux nouvelles technologies, et notamment le digital, les données et l’Intelligence Artificielle au service d’une prise en charge plus personnalisée et plus performante ;
  • L’exploitation de toutes les possibilités en termes de financement : dépense / crédit / assurance / épargne

Des raisons d’attendre la puissante rencontre entre des besoins et des capacités !

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Marie-Sophie Houis-Valletoux

MSHouis