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La soli-data-rité ou l’extension du principe de solidarité aux données personnelles de santé

By 11 December 2020April 3rd, 2024Services Financiers & Institutions

Selon les prévisions convergentes de la plupart des cabinets d’études, le marché des objets connectés dédiés à la santé en France aurait dû décoller en 2014. Puis en 2016. Et avant la Covid, c’était pour 2020… Pourquoi ce marché reste-t-il en France toujours émergent ?

Si l’on se réfère à l’ensemble des objets connectés “santé”, c’est-à-dire les dispositifs médicaux connectés (glucomètre, tensiomètre…) et ceux appartenant à la sphère du “bien-être” (traqueurs d’activité, bracelets, balance…), le taux d’équipement des Français n’a toujours pas franchi le seuil des 3%, soit moins de 2 millions de personnes. À titre de comparaison, le taux d’équipement des Américains a d’ores-et-déjà franchi le cap des 10 %. Une proportion très faible donc, et ce malgré l’importance des besoins en termes de prévention et de suivi des maladies chroniques qui concernent entre 11 et 25 millions de personnes (selon qu’on se limite aux seuls bénéficiaires du dispositif ALD ou non).

Les Etats-Unis sont précurseurs dans l’utilisation des objets connecté « santé »

Si les Etats-Unis tirent le marché mondial de l’Internet des objets (IoT) dans la santé, c’est grâce à la convergence de trois leviers importants.

D’une part, le développement du Big data en santé, soutenu par le gouvernement fédéral depuis la fin des années 2000 : adoption d’une politique d’open data dès 2009, ouverture en accès libre des données de nombreuses agences de santé publique (Centers for Medicare and Medicaid Services, FDA, CDC…). Le gouvernement américain a ainsi consacré plus de 550 millions de dollars à la création d’un entrepôt de données issues de ces agences. Des acteurs privés comme Kaiser Permanente, assureur santé leader du marché, ont fait de même. On notera également l’adoption dès 2009 de nombreuses incitations financières encourageant les établissements hospitaliers et les cabinets médicaux à informatiser leurs dossiers médicaux. Sur ce plan, nous en sommes encore loin en France…

Deuxième raison : le changement du modèle de tarification des actes médicaux. L’Obama Care a modifié le modèle de tarification en passant du « fee for service » (le paiement à l’acte) au « fee for value » (paiement à la performance allant d’un paiement à l’acte en fonction de la qualité du résultat médical obtenu à la capitation). Cette nouvelle tarification, qui s’appliquait à la moitié des dépenses de Medicare et Medicaid dès 2018, oblige les professionnels de santé à mieux suivre l’état de santé de leurs patients, notamment par le suivi de l’observance thérapeutique et la prévention. D’où la nécessité de les « équiper » en objets et dispositifs médicaux connectés, d’échanger et de partager les données générées par ces objets.

Enfin, pour réduire le poids croissant de l’assurance santé dans le coût du travail (10 % en moyenne), les entreprises diminuent depuis 2010 la couverture santé qu’elles proposent à leurs salariés. Une tendance qui se traduit par un transfert mécanique de charges vers les ménages. Pour maîtriser leurs frais de santé, les Américains sont donc eux-mêmes demandeurs d’outils digitaux pour mieux gérer leur état de santé.

En France s’appuyer sur un principe fondamental de notre système de sécurité sociale, la solidarité, pour accélérer les enjeux liés aux données de santé

Aucun de ces leviers n’est à l’œuvre en France aujourd’hui où l’environnement est beaucoup moins favorable à l’autonomie des patients qu’il ne l’est outre-Atlantique.

Pourtant, les enjeux liés à l’accès aux données de santé sont majeurs, tant pour l’accélération de la recherche – pour réduire les délais d’identification d’un candidat médicament par exemple – que pour l’amélioration du parcours de soins – pour développer des outils d’aide au maintien à domicile et au suivi de malades chroniques par exemple.

Mais force est de constater, malgré le renforcement de la réglementation sur la sécurité et la protection des données, une forte défiance vis-à-vis de la collecte des données de santé en France. Alors que les données constituent le « nouvel or noir » dans le secteur de la santé et que le big data va conduire le marché de la santé à se réorganiser autour du cycle de vie des données et de leur processus de valorisation, pourquoi ne pas étendre le principe de solidarité aux données personnelles de santé ? Contrairement aux Etats-Unis, ce principe est fondamental dans notre système de protection sociale auquel les Français sont si fortement attachés ; à ce titre, il constitue un levier majeur.

Ne pourrions-nous pas dès lors adopter un nouveau principe, celui de la « soli-data-rité », en écho à celui de la solidarité de 1945 ? Selon ce nouveau principe, les individus seraient dans l’obligation de partager leurs données personnelles de santé – qui seraient anonymisées et non pas pseudonymisées – et rendues accessibles à tous les acteurs du système de santé, centres de recherche publics et privés, entreprises du médicament et des dispositifs médicaux, offreurs de soins, payeurs des régimes obligatoire et complémentaire…

Face à cette double évolution a priori contradictoire – l’importance croissante des données de santé d’une part et la personnalisation des traitements médicaux y compris préventifs d’autre part – le principe de « soli-data-rité » constitue une condition majeure à la modernisation de notre système de santé.

OLIVIER MILCAMPS

Olivier Milcamps
Senior Manager PMP