Après un spectaculaire bond en 2020, la télémédecine semble marquer le pas en 2021. Eléments d’explication de cette stagnation.
Les chiffres sont saisissants : moins de 60 000 téléconsultations ont été remboursées par le régime obligatoire en 2019, contre près de 20 millions en 2020. Soit une explosion (x 300) de 0,02 % à 6 % des consultations des médecins libéraux. Le pic a été atteint en avril 2020. Pour autant, le volume de téléconsultations dans l’activité des médecins généralistes constaté depuis fin 2020 semble se stabiliser en 2021, avec près de 400 000 téléconsultations par semaine et un taux de téléconsultation identique à 2020. Dès lors, la téléconsultation marque-t-elle le pas ?
Trois leçons plus structurelles méritent d’être tirées de ce phénomène
La première est que le modèle de l’assurance maladie en sort largement gagnant aujourd’hui. En effet, en 2019 le volume de téléconsultations réalisées dans le cadre des réseaux de téléconsultation (MédecinDirect, MesDocteurs, Qare, Livi, …) intégralement pris en charge par les Ocam étaient dix fois plus important que celui des téléconsultations remboursées par les régimes obligatoires. Aujourd’hui, le rapport est totalement inversé, même si le taux d’utilisation de ces réseaux a aussi augmenté (x4 est l’estimation la plus courante) pendant la crise. Le « yoyo » des dérogations à la convention médicale y a certainement contribué : prise en charge d’une téléconsultation organisée à l’initiative du patient (toujours en vigueur), suspension de l’obligation de téléconsulter avec son médecin traitant (toujours en vigueur), autorisation pour les praticiens d’utiliser les outils de leur choix, y compris ceux non sécurisés (suspendue du 11 juillet au 16 octobre 2020, rétablie depuis jusqu’au 1 er juin 2021 au moins). Surtout, le levier le plus efficace a certainement été la prise en charge intégrale des téléconsultations par le régime obligatoire, officiellement pour faciliter le recours à la téléconsultation des médecins qui ne sont pas partenaires des réseaux existants et faciliter l’accès aux soins des patients. Cette prise en charge intégrale a été prolongée pour l’année 2021 et le sera en 2022, alors que depuis juillet 2020 l’accès aux cabinets médicaux est redevenu « normal » (malgré deux nouveaux confinements). La taxe des Ocam – 1,5 Md€ pour l’instant – permettrait d’ailleurs aux régimes obligatoires de financer intégralement soixante millions de téléconsultations.
La seconde est que nous sommes encore loin d’une intégration de la téléconsultation à la pratique médicale. Elle ne représente aujourd’hui que 6 à 7 % de l’activité des médecins généralistes. Surtout, selon une étude commanditée par l’Agence numérique en santé, un médecin sur deux n’est toujours pas équipé d’une solution technique professionnelle (et utilise le téléphone, les réseaux sociaux ou les outils de visio grand public). Parmi ceux qui sont équipés, quatre sur dix sont clients d’une solution professionnelle en mode SaaS d’une start-up (Doctolib, Médaviz, MonDocteur, lemedecin.fr, …) ou autre type d’acteur (Maiia filiale de Cegedim…) et un sur dix utilise une solution développée par un GRADeS (Groupement régional d’appui au développement de la e-santé). Le modèle « réseau de téléconsultation » d’origine est désormais marginal dans l’offre de services : seul un acteur (MédecinDirect) est resté exclusivement sur ce modèle, les autres réseaux (MesDocteurs, Qare, Livi…) adoptant aussi le « modèle Cnam » et certains n’opèrent que sous ce modèle (Doctolib, Médaviz…).
Nous sommes d’autant plus loin d’une intégration de ce nouveau mode d’organisation dans les pratiques que l’usage aujourd’hui reste très limité aux soins courants. C’est la troisième leçon : encore trop peu d’indices nous montrent que la télémédecine ne va pas rester une médecine de gestion de crise sanitaire. Pour l’instant, l’essentiel de la télésanté est circonscrit à une pratique – la téléconsultation – qui intervient surtout dans le cadre des soins courants (11 % des dépenses de santé) alors que l’émergence des autres pratiques – téléexpertise, télésurveillance, télésoin – reste très marginale. Mais pour que la télémédecine devienne une pratique médicale à part entière, elle doit accompagner les principaux enjeux du système de santé liés à une croissance des dépenses largement portée par les maladies chroniques (65 % des dépenses de santé aujourd’hui, 4/5 e de la croissance annuelle des dépenses, 87 % des causes de décès). Elle doit donc être utilisée couramment aussi par les médecins spécialistes. Malgré la levée temporaire des restrictions initiales, la téléexpertise, qui facilite l’accès rapide à un spécialiste, reste très peu utilisée : 2 785 actes remboursés entre février 2019 et juin 2020. Le développement d’outils adéquats tarde, même si la Covid-19 a permis de lancer des expérimentations, comme TokTokDoc dans l’Est de la France jusqu’en 2022-2023 ou encore NeuroCovid, une plate-forme neurologique dédiée aux médecins hospitaliers.
Les pistes d’amélioration
La télésurveillance contribue elle aussi à l’accessibilité des soins et au désengorgement du système en favorisant le suivi des patients à distance, en particulier les malades chroniques. Les visites aux urgences et les hospitalisations sont ainsi limitées, les complications décelées plus rapidement. Or, la télésurveillance fait toujours – depuis 2014 – l’objet d’expérimentations encadrées par le programme Etapes, dont on peut toutefois questionner l’intérêt pour la préfiguration de nouvelles organisations professionnelles : non seulement ce programme est limité à cinq maladies chroniques, mais en décembre 2020 une seule (télésuivi des patients ayant des troubles du rythme cardiaque et porteurs d’une prothèse cardiaque implantable) concentrait 82 % des 85 000 patients inclus, les 4 autres ne représentant que 18 % (10,1 % des patients avec insuffisance cardiaque, 3,6 % avec Diabète, 1,1 % avec insuffisance respiratoire, 0,6 % avec insuffisance rénale dialysée et transplantée). Alors qu’une fois encore la pandémie a montré une forte appétence des patients et des professionnels de santé pour la télésurveillance, avec la mise en place d’applications (telle que Covidom) permettant le suivi quotidien des patients à leur domicile, qu’ils soient cas contacts ou atteint du virus (non-critiques) et l’intervention rapide, en cas de nécessité, des professionnels ; depuis avril 2020, 1 050 000 patients ont bénéficié de Covidom par exemple, soit douze fois plus de bénéficiaires qu’après six ans d’expérimentation Etapes… Quelles leçons seront tirées de ces solutions pour un déploiement accéléré de la télésurveillance ?
Finalement, l’usage du télésoin, pratique d’autorisation la plus récente pour les auxiliaires médicaux, est, a priori, très marginal. La pratique a été autorisée par dérogation pendant le 1er confinement et les résultats sont encore inconnus mais les retours des professionnels laissent présager une faible utilisation.
Un point encourageant à noter toutefois : la téléconsultation se développe fortement en psychiatrie, discipline très peu valorisée. Pourtant la santé mentale est aujourd’hui un problème de santé majeur en France – les troubles mentaux représentent 26 Md€ de dépenses par an, le 1 er poste des maladies chroniques – et l’accès aux professionnels peut être très long, certains patients attendent entre six et neuf mois pour un rendez-vous. La crise de la Covid-19 a mis sur le devant de la scène la nécessité de développer la téléconsultation dans ce domaine – notamment pour permettre une flexibilité dans les horaires, un tiers des patients souhaitant (télé)consulter en dehors des horaires de cabinet – mais aussi de s’intéresser à la santé psychique des individus. Qare, en intégrant la solution créée par Doctopsy, s’est emparé du créneau, avec une solution combinant outil de téléconsultation, outils de suivi et une application, « Mon Sherpa », contenant des exercices pour supporter les thérapies cognitives et/ou comportementales.
Conclusion
Il reste en fait encore un long chemin à parcourir avant une adoption massive de ces nouvelles pratiques à distance et la transformation du système de santé. Ce qui constitue autant de possibilités d’innovations pour les Ocam alors que les négociations de l’assurance maladie avec les syndicats médicaux pour actualiser l’avenant n° 6 semblent bien éloignées des enjeux véritables.
Olivier Milcamps, Senior Manager
Consultez l’article Publié le 15 juin dans La Tribune de l’Assurance