Le modèle Triple Play des telcos, intégrant la télévision dans l’offre fixe, doit s’adapter face à l’explosion des usages en streaming et un décodeur qui n’a plus la cote
Les opérateurs télécoms et leurs traditionnelles offres Triple Play continuent de dominer l’accès TV des foyers français. Fin 2021, le mode de réception IPTV atteignait 60% sur le poste principal, en progression constante depuis les années 2000, selon une publication de l’Arcom de juin 2022. Cette progression devrait se poursuivre sur les prochaines années, notamment avec le déploiement du réseau fibre au sein des zones les moins denses, une opportunité de convertir de nouveaux foyers éligibles à des offres IPTV.
Ce développement se fait au détriment du satellite et de la TNT, technologies déclinantes, qui ont, en 10 ans, respectivement perdu 10% et 21% des modes de réception sur le poste principal des foyers équipés TV. Malgré un usage qui reste majeur, l’avenir de la TNT est souvent questionné et Canal+, en facilitant en 2020 ses conditions contractuelles de sortie de la TNT, n’hésite pas à afficher clairement ses intentions de ne pas s’éterniser, sur la TNT payante du moins.
Les FAI n’auraient donc pas de souci à se faire, conservant la primauté de notre porte d’entrée vers les contenus TV. La transformation du marché audiovisuel et de nos habitudes de consommation, tant du point de vue des contenus que des supports, bousculent pourtant la domination de notre bien-aimé décodeur.
Les contenus : le nerf de la guerre
Dans la guerre des contenus, les plateformes SVOD (Netflix, Disney+…), se sont rapidement imposées dans le paysage audiovisuel, affichant des volumes d’utilisateurs toujours plus importants. Netflix, notamment, revendiquait en juillet 2022 10 millions de foyers abonnés en France, contre 7 millions en 2020. Ces nouveaux services, en multipliant les investissements en productions originales, acquisitions de droits TV et droits sportifs (acquisition des droits télévisés de Roland-Garros et de la Ligue 1 par Prime Video), assèchent le contenu des éditeurs traditionnels dont TF1, France Télévisions et M6. Conséquence directe de cette intensité concurrentielle des plateformes : une durée d’écoute des chaines historiques – en grande majorité dans un format linéaire – qui reprend son niveau d’avant la crise sanitaire (3h41 d’écoute quotidienne de la télévision en 2021 vs 3h40 en 2019) et sa tendance baissière parmi les jeunes générations (-20% en 2021 vs 2019 pour les 4-14 ans).
Ces évolutions constituent une menace pour les FAI car ces plateformes imposent un modèle nativement OTT (Over The Top, en dehors de l’offre TV du FAI), en se rendant disponible sur tous nos écrans. Le décodeur ne devient alors qu’un moyen parmi d’autres d’accéder à Netflix et consorts.
L’offensive des constructeurs
Les acteurs du hardware tirent profit de cette accélération du streaming : la part d’utilisateurs d’équipements OTT, et notamment des Dongles portés par les géants de la tech US (Google Chromecast, Amazon Fire TV, Apple TV…), augmente rapidement et constitue une alternative à la set-top-box des opérateurs.
Mais la menace la plus sérieuse pour les FAI provient certainement des constructeurs TV, et la démocratisation des Smart TV, qui connait une forte progression en 2021 atteignant 45% des foyers équipés TV connectés (ensemble des foyers dont la TV est connectée, y compris indirectement via un décodeur, une console ou un boitier tiers), + 5 points vs 2020. Pourquoi utiliser la télécommande de mon opérateur quand celle de mon téléviseur me permet d’accéder à la série du moment via un bouton dédié ?
Samsung, premier parc de télévisions en France, continue en outre d’investir dans l’expérience digitale de sa plateforme smart TV, qui devient de plus en plus compétitive ; affichant un volume d’applications de divertissement compatibles qui ne cesse d’augmenter. A titre d’exemple, dans les jeux vidéo, le Samsung Gaming Hub, page d’accueil dédiée au gaming disponible sur les Smart TV de gamme 2022, a récemment intégré les applications Google Stadia et Xbox.
Un modèle FAI à réinventer
Les usages TV évoluent vite et les opérateurs l’ont compris. Pour préserver son modèle, Bouygues, par exemple, prend le virage de la TV digitale en proposant depuis 2021 une offre fixe sans décodeur avec application Smart TV et en subventionnant les télévisions Samsung.
Les bouquets historiques de chaines payantes sont peu à peu remplacés par les services SVOD, et sont parfois nativement intégrés au sein des offres fixes ; les FAI visant ainsi à intermédier la distribution et l’usage de ces nouveaux contenus qui leurs échappent.
Si le décodeur devrait rester la norme dans la majorité des foyers français à court-terme, la capacité des opérateurs à maintenir une offre de télévision attractive sur le long-terme, notamment auprès de profils jeunes, plus enclins à consommer en délinéaire et en OTT, est plus incertaine.
Alexandre Hennequin, Manager spécialisé en Télécoms, Médias et Divertissement chez PMP Strategy,
paru dans le Journal du Net, le 17 novembre 2022
Lien vers l’article